Le modèle des fondations abritantes et abritées constitue une composante importante du paysage philanthropique en France. L’Inspection générale de l’administration (IGA) a publié en mai 2023 un rapport détaillé sur cette relation, mettant en lumière les dynamiques, les défis et les opportunités qui structurent ce secteur en pleine évolution. Ce rapport s’intitule « Fondations abritantes et abritées : un modèle porteur de sens, de bonnes pratiques, des contrôles parfois perfectibles ». Dans cet article de synthèse, nous analysons les éléments clés de ce rapport, en insistant sur les enjeux de gouvernance, de financement et de régulation.
1. Comprendre la dynamique du modèle des fondations abritantes et abritées
1.1 Définitions et fonctionnement
Les fondations abritantes sont nécessairement des fondations reconnues d’utilité publique. C’est en effet le seul statut de fondation (parmi les 8 existants) qui donne la capacité juridique d’héberger des fondations abritées (ou sous égide). Le modèle de fondation abritée permet à des philanthropes, entreprises ou collectifs de créer un fonds sans avoir à créer une personne morale, tout en bénéficiant du statut des avantages de la fondation reconnue d’utilité publique, notamment en matière de fiscalité. La création d’une fondation abritée repose sur la relation contractuelle du ou des fondateurs avec la fondation abritante, ce qui autorise donc une certaine flexibilité. SOESS a ainsi listé 7 raisons de créer une fondation sous égide ou abritée.
1.2 Un développement rapide et important des fondations abritées
Le rapport de l’IGA s’appuie sur le baromètre 2022 de l’Observatoire de la philanthropie de la fondation de France. On y constate que le nombre de fondations abritées a triplé en vingt ans, passant de 571 en 2001 à 1 589 en 2021. L’engouement pour ce modèle est indéniable, à concurrence de l’autre véhicule philanthropique en croissance, le fonds de dotation. L’IGA relève en outre le phénomène de concentration qui accompagne le développement rapide du modèle des fondations abritantes et abritées. SOESS le constatait dès 2019 en publiant son premier « top » des fondations abritantes. En 2025,une trentaine FRUP abritent l’essentiel des fondations sous égide (notre classement).
« Ce développement témoigne d’un recours croissant à ce mode de structuration philanthropique, mais il nécessite également un encadrement renforcé ».
IGA, Rapport 2023, p. 12
La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes décident l’affectation irrévocable d’un patrimoine à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général. Les fondations apparaissent en 1987, mais il en existe aujourd’hui huit statuts (FRUP, fondation d’entreprise, abritée, fonds de dotation, etc.). Ce dossier a vocation à orienter les philanthropes dans leurs choix en la matière, selon leurs moyens et leur projet.
2. Les enjeux clés des relations entre fondations abritrantes et abritées
2.1 Gouvernance et indépendance
Les fondations abritées n’ont pas de personnalité morale, elles dépendent donc juridiquement et financièrement de leur structure abritante. La question du degré d’autonomie du fonds qu’est la fondation sous égide est donc cruciale. Ses fondateurs sont-ils les seuls décideurs, et la fondation abritante un organe d’exécution administrative ? Ou bien à l’inverse, la fondation abritante prend-elle la main, en ne laissant que peu de place aux fondateurs de la fondation abritée ?
« L’absence de règles claires quant aux modalités de gestion interne des fondations abritées peut mener à des conflits d’intérêts et à un déficit de transparence ».
IGA, Rapport 2023, p. 25
2.2 Transparence et régulation
Dans le même ordre d’idée, l’IGA relève un manque d’harmonisation des pratiques comptables et des modalités de financement. Elle soulève des questions sur la traçabilité des dons aux fondations abritantes (qui, encore une fois, bénéficient des avantages fiscaux réservés aux fondations reconnues d’utilité publique qui les abritent), de même que sur l’affectation des fonds aux bénéficiaires. l’IGA appelle sans ambages à une transparence accrue.
« Une meilleure standardisation des obligations de reporting permettrait de renforcer la confiance des donateurs et des pouvoirs publics »
IGA, Rapport 2023, p. 33
2.3 Fiscalité et attractivité
Le cadre fiscal avantageux pour les fondations abritées favorise leur développement, en tout particulier celui du mécénat d’entreprise. Dans la foulée de la Cour des comptes, et malgré la mise en œuvre d’une partie de ses recommandations en 2019 et 2020, l’Inspection Générale de l’Administration appelle à des ajustements.
« Il devient nécessaire d’ajuster les dispositifs fiscaux pour garantir un juste équilibre entre incitation au mécénat et lutte contre les abus »
IGA, Rapport 2023, p. 41
2.4 Impact et évaluation
Le principe des incitations fiscales au don repose sur leur effet de levier (on donne toujours plus que ce qu’on obtient de réduction d’impôt). Mais encore faut-il que l’argent ainsi mobilisé pour des causes d’intérêt général soit efficace, du moins plus que ce qu’en aurait fait la puissance publique. Ainsi, un autre enjeu majeur identifié par l’IGA réside dans l’évaluation de l’impact des fondations abritées. L’IGA considère qu’avec la multiplication des structures, il devient essentiel de mettre en place des indicateurs permettant de mesurer l’efficacité des projets financés.
« L’absence de méthodologie standardisée pour évaluer l’impact des fondations abritées nuit à la lisibilité et à la légitimité du secteur »
IGA, Rapport 2023, p. 47
3. Bonnes pratiques à l'attention des fondations abritantes et abritées
Le rapport « Fondations abritantes et abritées : un modèle porteur de sens, de bonnes pratiques, des contrôles parfois perfectibles », propose des recommandations dans son annexe 5 du document. En voici une synthèse, regroupées par thématiques principales.
3.1. Gouvernance et Gestion
Création et formalisation :
- Le processus de création de nouvelles fondations abritées doit être bien formalisé.
- L’objet de la fondation abritée doit être clairement défini et intégré à celui de l’abritante, avec un respect strict de l’utilité publique.
Gouvernance :
- La gouvernance unipersonnelle des fondations abritées doit être évitée. Il est recommandé d’inclure des personnalités qualifiées extérieures au cercle familial ou amical.
- Les engagements respectifs des parties doivent être clairement définis dans la convention d’abritement.
- Les représentants des fondations abritées ne doivent pas disposer de délégation de signature.
Conflits d'intérêt :
- La convention d’abritement, le règlement intérieur ou la charte de déontologie doivent prévoir des mesures pour éviter tout risque de conflit d’intérêt.
3.2. Contrôle et audit
Contrôle interne :
- La stratégie d’abritement doit être clairement définie par le conseil d’administration.
- L’audit et le contrôle interne doivent être valorisés et mis en œuvre par des personnels formés, avec une cartographie des risques et des procédures fiabilisées.
Rapports et communication :
- Un rapport d’activité et un bilan financier doivent être rédigés chaque année pour chaque fondation abritée et rendus publics si la fondation fait appel à la générosité publique.
- Un rapport spécial relatif à l’activité des fondations abritées doit être produit chaque année et transmis aux autorités compétentes.
3.3 Transparence et communication
Communication externe :
- La politique de communication externe doit permettre d’identifier clairement la relation d’abritement des fondations abritées, notamment sur les sites internet et lors d’appels à la générosité publique.
Transparence :
- La liste des fondations abritées doit être communiquée chaque année aux membres du conseil d’administration.
- Chaque nouveau membre du conseil d’administration doit être sensibilisé aux enjeux liés à la gestion des fondations abritées.
3.4. Relations avec les associations et les tiers
Financements des associations :
- Les associations attributaires de financements doivent être sélectionnées de manière objective et transparente, et le versement des fonds doit être conditionné au contrôle de la réalisation des actions.
- Des contrôles sur place doivent être régulièrement réalisés.
Opérations avec l'étranger :
- Une procédure spécifique relative aux opérations avec l’étranger doit être mise en place, tant en matière d’acceptation de dons que de financement.
3.5. Rôle de l'État
Contrôle par l'État :
- Les fondations abritantes doivent vérifier que les fondations abritées associant des collectivités territoriales soient conformes aux préventions édictées par la mission.
- Le rôle du Bureau des Associations et Fondations (BAF) [au ministère de l’intérieur] doit être renforcé en matière d’expertise, d’animation de réseau et de formation.
- Le BAF doit affirmer son rôle d’interlocuteur de référence vis-à-vis des FRUP.
Conclusion
Le modèle des fondations abritantes et abritées joue un rôle essentiel dans le dynamisme de la philanthropie en France. Toutefois, son développement exponentiel pose des questions de gouvernance, de transparence et de régulation. Le cadre fiscal particulièrement incitatif en France doit être équilibré par des garanties, a fortiori dans un contexte particulièrement contraint pour les finances publiques. Dans les termes de l’IGA :
« Un encadrement modernisé est indispensable pour préserver la confiance des donateurs et garantir la pérennité du modèle ».
IGA, Rapport 2023, p. 60
L’IGA, ce n’est pas son rôle, ne questionne pas outre mesure le cadre plus général des fonds et fondations construit par le législateur. Pour autant le débat sur l’avenir des statuts des fondations et fonds de dotation en France est ouvert depuis plusieurs années.
La fondation est l’acte par lequel une ou plusieurs personnes décident l’affectation irrévocable d’un patrimoine à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général. Les fondations apparaissent en 1987, mais il en existe aujourd’hui huit statuts (FRUP, fondation d’entreprise, abritée, fonds de dotation, etc.). Ce dossier a vocation à orienter les philanthropes dans leurs choix en la matière, selon leurs moyens et leur projet.