La communication des philanthropes à l’épreuve du feu de Notre-Dame

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  • Dernière modification de la publication :15 novembre 2022
  • Publication publiée :18 avril 2019
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L’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris est un nouvel évènement vécu en direct par des millions de téléspectateurs. L’émotion sincère qui assaille les plateaux de télévision est à la hauteur de la valeur du patrimoine qui disparait sous nos yeux. La générosité qui se manifeste pour restaurer la Cathédrale est immense. Mais les polémiques, classiques en France sur la définition de l’intérêt général, fusent immédiatement. L’incendie de Notre-Dame est un cas d’école pour la communication des philanthropes.

Un contexte chaud pour la communication des philanthropes

L’incendie de Notre-Dame intervient dans un contexte social très inflammable. Après six mois de mobilisation des gilets jaunes, le Président Macron est attendu. Il doit en effet communiquer le soir même des annonces. L’évènement brûle la politesse au Président de la République, contraint d’annuler son intervention. Son plan de communication sur le grand débat est en effet réduit en cendres. Le contexte social et politique passe un temps au second plan, il subsiste néanmoins.

L’hypermédiatisation de l’incendie de Notre-Dame engendre plusieurs effets dorénavant classiques en communication. Elle génère d’une part une grande émotion collective, alimentée par les réseaux sociaux. Le direct en continu des chaines télévisées engendre d’autre part du vide à remplir. Toute information est donc bonne à commenter pour ce faire. Les appels à la générosité et les promesses de don sont ainsi abondamment relayées et commentées.

L'incendie de Notre-Dame, un évènement sans précédent

Fort heureusement, il n’y a aucune victime à déplorer dans l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. C’est néanmoins un pan majeur de l’histoire de l’humanité qui part en fumée. C’est un contexte inédit. Les grands mouvements de générosités qui suivent des catastrophes naturelles comme le Tsunami ou le tremblement de terre en Haïti ne sont pas comparables. La stupeur inhérente à la couverture des attentats non plus.

Les Bouddhas de Bâmiyâm, des mausolées de Tombouctou ou du site de Palmyre présentent des parallèles. Ces sites sont en effet, comme Notre-Dame, inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité. Cependant, le caractère intentionnel de leur destruction, dans des contextes de conflits armés, ne permet pas de pousser la comparaison. Ces évènements n’ont, par ailleurs, pas bénéficié de la même exposition médiatique, en France du moins.

M Aillagon et la famille Pinault mettent le feu aux poudres

Le caractère inédit du contexte de l’incendie de Notre-Dame aurait du inciter à la plus grande prudence en terme de communication des philanthropes. Pourtant, alors que Notre-Dame de Paris est encore la proie des flammes, Jean-Jacques Aillagon allume sans s’en douter la mèche de la discorde. Le père de la loi sur le mécénat demande à brûle-pourpoint au parlement de voter une réduction d’impôt de 90% sur les dons qui seront faits pour restaurer Notre-Dame. Dans le feu de l’action, la famille Pinault annonce qu’elle « débloque » 100 millions d’euros.

La communication des philanthropes sur Notre-Dame

S’en suit une flambée de générosité de la part des très grandes fortunes et des grands groupes. Le caractère public des annonces de dons de tels montants a certes des effets bénéfiques. Elle entraine une émulation et donc un effet boule de neige.

Par ailleurs, on le sait, les motivations des philanthropes à donner sont complexes et multiples. L’altruisme, la foi, l’impact et les enjeux réputationnels, sont, entre autres, des moteurs de la générosité privée. On constate avec le cas de Notre-Dame qu’en quelques mots la communication des philanthropes met en exergue différentes motivations.

La communication des philanthropes avant la polémique

François-Henri Pinault fait le choix, à chaud probablement, et certainement de façon inconsciente, de communiquer sur l’impact. A deux reprise, il emploie le terme de « débloquer » les 100 millions que le fond de sa famille souhaite donner. Les Pinault souhaitent « être à la hauteur du défi ». Ce langage parait froid, d’autant plus qu’il est le premier à communiquer, au paroxysme de l’émotion télévisuelle.

La communication de la famille Arnault et du groupe LVMH est en deux temps. Les Arnault sont d’abord « solidaires » de la tragédie, puis abondent, eux aussi, la « reconstruction ». La sémantique de l’œuvre, de l’architecture et de l’histoire s’inscrit dans la ligne de la fondation Vuitton.

La communication des philanthropes au démarrage de la polémique

Martin Bouygues assume, avec son frère, d’être touché. Il fait aussi mention du caractère de Cathédrale de Notre-Dame. Enfin, la famille Bouygues participe à la restauration et non à la reconstruction. Ces trois éléments distinguent sa communication de celle des autres philanthropes à propos de l’incendie de Notre-Dame. C’est aussi le plus petits des donateurs que nous commentons ici.

Pour Total, Patrick Pouyanné appuie sur la fidélité du soutien de son entreprise à la Fondation du Patrimoine. En jouant la continuité, il démine la critique de l’opportunisme de son annonce, et insiste sur la responsabilité sociale de Total dans la durée.

L’Oréal mise sur l’espoir avec la renaissance. Le propos performatif de la décision sous-entend la réflexion, tant sur le choix de donner, du montant que de la communication. Les communicants du groupe L’Oréal savent probablement à cette heure qu’ils n’échapperont pas à la polémique qui enfle sur les réseaux sociaux. 

Les réseaux s'embrasent : les philanthropes au bucher

Dès les premières annonces de dons, les réseaux sociaux s’embrasent. La générosité que suscite l’incendie de Notre-Dame ravive les polémiques sur la philanthropie qui couvent dans notre pays. Les commentateurs font feu de tout bois. Évasion fiscale, niches fiscales, mécénat d’entreprises et incitations des particuliers à donner sont incendiées sans distinction.

Moins de 48h après le début de l’incendie Le Monde titre Notre-Dame de Paris : les dons par les grandes fortunes françaises font polémique. De son côté, Médiapart publie un entretien avec Anand Giridharadas, auteur du brulot Winners Take All, the Elite Charade of Changing the World (éditions Knopf, non traduit en France). Mathieu Magnaudeix s’excuse presque de citer dans le contexte cet extrait du livre « les incendiaires font les meilleurs pompiers ».

Certains politiques ne peuvent se retenir de souffler sur les braises. En revanche, la plupart des critiques pointe le décalage entre les montants donnés pour Notre-Dame et l’urgence sociale. Le Monde poursuit ainsi son traitement des polémiques sur la philanthropie après l’incendie de Notre-Dame : Le malaise des associations caritatives face à la générosité pour Notre-Dame.

Notre Dame Allan BARIE

Éteindre le brasier des polémiques sur la philanthropie

L’initiative de Jean-Jacques Aillagon fait long feu. Dès le surlendemain, il revient en effet sur sa proposition.

Les philanthropes doivent communiquer de nouveau

De même, devant le retour de flamme, la famille Pinault renonce à la déduction fiscale sur son don. La Holding JCDecaux lui emboite le pas. Les autres très grands donateurs restent cependant silencieux sur la question. Leur image est donc pour le moins écornée dans une partie de l’opinion publique.

Las, jeudi 18 Avril, Bernard Arnault, PDG de LVMH déclare à son tour que le don de sa famille et de LVMH ne sera pas défiscalisé. Il argue qu’il n’est pas en mesure, de toutes façons, de faire valoir l’incitation fiscale. La société familiale ne réalise en effet pas de chiffre d’affaire. Et le groupe LVMH a déjà épuisé sa capacité de mécénat en abondant la fondation Louis Vuitton.

Professionnels et media font acte de pédagogie

En parallèle, les professionnels de la philanthropie montent au feu pour expliquer la réalité des pratiques. Il est en effet salutaire de rappeler que le régime fiscal du mécénat, aussi critiqué soit-il pour sa générosité, est encadré et plafonné. De même la réduction d’impôt sur le revenu est limitée en pourcentage du don, et la réduction d’impôt sur la fortune immobilière en valeur absolue.

C’est ce que fait aussi la presse. Le Monde, par exemple, reprend les données d’ADMICAL et du rapport de la Cour des Comptes sur le Mécénat d’Entreprises. Nicole Vulser rappelle ainsi que « les mécènes financent en priorité des causes sociales (à 28 %) plus que les projets culturels et de patrimoine (25 %), les aides à l’éducation (23 %) et la santé (11 %). » Les Echos donnent la parole à François Debiesse et Sylvaine Parriaux d’ADMICAL pour une leçon de mécénat.

Les leçons de Notre-Dame pour la communication philanthropique

La France n’est pas l’Amérique, si tant est que la communication philanthropique aux États-Unis soit bien accueillie par le grand public. La tradition de la philanthropie à la française est plutôt à la discrétion. Les philanthropes français ont souvent fait le choix de suivre l’adage de Saint François de Sale « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit ».

Dans le contexte social très tendu du moment, et dans le bruit médiatique inédit de l’incendie de Notre-Dame, cette maxime trouve tout son sens. Pour autant, chez SOESS, nous ne sommes pas nécessairement partisan du silence. Nous considérons néanmoins qu’en matière de philanthropie, la communication doit avoir une portée autre que le seul enjeux réputationnel. Elle doit être porteuse de sens.

L’effet d’entrainement et d’émulation des promesses de dons fait-il office de sens ? N’aurait-il pas eu lieu avec une communication différente ? Le succès populaire de la souscription pour reconstruire Notre-Dame, malgré les polémiques qui entachent la communication des philanthropes, tend à le démontrer.

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