Lorsqu’on s’intéresse à la collecte de fonds pour les associations et les fondations, bien des questions doivent être adressées. Parmi elles, il en est une fondamentale : pourquoi les gens donnent-ils ? En d’autres termes, quelles sont les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes ? Ou encore, quels sont les ressorts de la philanthropie ? Le sujet est profondément philosophique et politique, en ce qu’il en appelle à l’économie, la sociologie, la psychologie et même la biologie.
Le présent article ne se donne pas pour ambition d’épuiser la question, objet d’une riche et complexe bibliographie. Il discute d’abord l’intérêt d’avoir une réflexion sur les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes lorsqu’on cherche à collecter des fonds privés. Cet article présente ensuite quelques résultats de la recherche sur la philanthropie aux Etats-unis. Il propose enfin une nomenclature des motivations philanthropiques en France.
Posons pour commencer quelques éléments. D’abord, donateur est ici employé au sens commun, pour qui fait des dons, à la différence de la définition juridique portant sur une donation (une libéralité). Ensuite, la notion de mécène fait référence au mécénat d’entreprise. Il s’agit donc d’une personne qui contribue à l’intérêt général pour le compte d’une entreprise comme personne morale. Enfin, on associe le terme de philanthrope aux grands donateurs, c’est-à-dire les personnes fortunées qui versent régulièrement aux associations et fondations des montants élevés.
Pourquoi connaitre les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes ?
A bien des égards économiques, à l’échelle d’un individu ou d’une entreprise, le don est une aberration. L’homo oeconomicus, être théorique maximaliste et rationnel, ne saurait ainsi faire un don. Les limites de la théorie économique néoclassique sont pourtant bien connues. Ainsi économistes et psychologues font régulièrement la démonstration empirique de l’existence de l’altruisme. De même, Marcel Mauss, père fondateur de l’anthropologie en France, a théorisé le don et le contre-don comme ferment de la société. Pour autant, l’empathie et la générosité ne sont pas les seules motivations à contribuer à l’intérêt général. Les ressorts de ce qui motive les donateurs, mécènes et philanthropes sont complexes, et se cumulent évidemment selon les individus.
Au delà de savoir qui sont les donateurs, mécènes et philanthropes, comprendre ces ressorts est essentiel à la construction d’une stratégie de collecte de fonds pour les associations et les fondations. Tel article publié dans le cadre d’une campagne de crowdfunding génère une vague de dons importante. Est-ce parce que l’article joue sur la corde sensible et suscite l’empathie des donateurs ? Ou bien est-ce parce qu’il met en valeur les contreparties offerte en échange du don ? Le recrutement de tel ou tel grand donateur bute malgré plusieurs rendez-vous. Quel levier devez-vous activer, quel argument mettre en avant, pour obtenir son engagement à soutenir votre projet ?
Les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes aux Etats-Unis
En termes de philanthropie, les différences culturelles entre les Etats-Unis et la France sont grandes. Outre Atlantique, les publications sur les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes sont fournies, et la réflexion vivace. On ne peut pas en dire autant en France, où la recherche s’inspire grandement des travaux américains. Nous recensons ici trois publications qui listent chacune, à leur manière et souvent de façon assez redondante, les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes aux USA.
7 traits de personnalités des donateurs, mécènes et philanthropes
La publication en 1994 de The Seven Faces of Philanthropy: A New Approach to Cultivating Major Donors est un tournant pour la réflexion autour de la collecte de fonds privés des associations et des fondations. L’un des deux auteurs, Russ Alan Prince, en fait en 2018 une synthèse pour le magazine Forbes. L’ouvrage dresse une première nomenclature des donateurs, mécènes et philanthropes, qu’il classe de la manière suivante :
- Les communautaires (au sens anglo-saxon de la communauté)
- Les dévots (qui considèrent qu’ils réalisent une mission divine)
- Les investisseurs (au sens où ils cherchent l’optimisation fiscale)
- Les sociaux (qui apprécient la reconnaissance, la sociabilité et activent leurs réseaux)
- Les altruistes (qui donnent sans être sollicité, pour faire le bien, et ne cherchent ni contre partie ni visibilité)
- Les « rembourseurs » (traduction de « pay back », qui rendent à la société ce qu’elle leur a donné)
- Les dynastiques (qui ont hérité de leur richesse et de la tradition de donner)
8 mécanismes qui conduisent à donner aux associations et aux fondations
En 2011, R. Bekkers et P. Wiepking publient A Literature Review of Empirical Studies of Philanthropy: Eight Mechanisms That Drive Charitable Giving. (Nonprofit and Voluntary Sector Quarterly, 40(5), 924–973). Il s’agit d’une publication qui analyse les résultats de l’ensemble des enquêtes au sujet de la philanthropie. La version abrégée de l’article est disponible ici. Ce travail leur permet d’identifier huit mécanismes qui déclenchent les dons et donations aux associations et fondations.
- La conscience des besoins
- Le fait d’être sollicité
- L’analyse coûts / bénéfices (les contreparties ou les incitations fiscales)
- L’altruisme
- Les enjeux réputationnels (motivé par la publicité autour de son don)
- Les bénéfices psychologiques
- Les valeurs
- L’efficacité
9 ressorts de l'engagement dans la durée des donateurs, mécènes et philanthropes
Ce récent guide sur l’engagement des donateurs, publié par les Rockefeller philanthropy advisors, liste quant à lui les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes à s’engager dans la durée pour une cause. Comme pour les autres publications, ces éléments sont bien sûr cumulables. Il s’agit de
- La famille (donner à la même cause, en tant que groupe intergénérationnel qui partage un héritage, une richesse, une histoire, des valeurs communes)
- La postérité (donner pour rester dans l’histoire ou influencer le futur).
- L’expérience personnelle (donner pour contribuer à ceux que d’autres bénéficient des mêmes opportunités ou pour résoudre les problèmes constatés personnellement, après été malade, bénéficié d’une bourse ou voyagé).
- La foi (donner aux organismes qui gravitent autour de sa religion ou à des causes qui mettent en œuvre des principes recommandés par sa foi).
- Les valeurs (donner par engagement politique ou selon sa philosophie).
- L’héritage (donner à sa communauté d’origine ou tant que membre d’une diaspora).
- L’analyse (donner par une approche rationnelle, pour résoudre des problèmes ou adresser les besoins les plus grands, dans une logique scientifique ou de retour sur investissement).
- L’optimisation fiscale (donner pour réduire son imposition).
- La reconnaissance (donner pour obtenir de la notoriété, être connu pour cet acte).
Les 8 motivations des donateurs, mécènes et philanthropes en France
En France, Arthur Gautier de la Chaire Philanthropie de l’ESSEC, propose une nomenclature de huit motivations pour les donateurs, mécènes et philanthropes, dans un article publié dans la revue Fundraisine puis sur LinkedIn. Il s’appuie pour ce faire sur la bibliographie existante, qui, sur le sujet de la philanthropie, est massivement produite aux Etats-Unis. Ceci explique, malgré l’effort de l’auteur pour contextualiser en France son travail, une forme de redondance avec les matrices décrites plus haut.
- L’altruisme : nous l’avons évoqué plus haut, cette motivation repose sur l’empathie, et le don est réalisé sans attente de contrepartie.
- La culpabilité et l’angoisse : Arthur Gautier cite le psychologue Robert Cialdini pour lister cette motivation, où il s’agit de donner pour se soulager de ses sentiments négatifs à l’égard des maux du monde.
- L’efficacité et l’impact : l’auteur cite les approches utilitaristes, pour décrire cette motivation où l’efficacité concrète du don l’emporte.
- Les gains personnels : Arthur Gautier associe dans sa description de cette catégorie de motivation les contreparties au don et les incitations fiscales à donner.
- Le plaisir de donner : l’auteur cite à l’appui de son raisonnement l’effet de warm glow giving, cette sensation addictive de bien-être, décrite par l’économiste James Andreoni.
- Le prestige et la réputation : le donateur, mécène ou philanthrope est motivé par la contribution de son don à sa propre image, plus qu’aux effets sur les bénéficiaires.
- La réciprocité ou « give back » : l’auteur associe ici deux notions, la seconde très présente dans l’imaginaire américain, et la première héritée des études de Marcel Mauss sur le contre-don, dans l’idée que le don permet de « faire société ».
- La religion et les valeurs : Arthur Gautier regroupe ici deux sous-ensembles souvent séparés aux Etats-Unis, mais qui dans le contexte français sont difficilement dissociables.
Pour conclure
La bibliographie sur les motivations des donateurs, mécènes et philanthropes est très riche, et dans bien des domaines. Pourtant, quelques soient les auteurs, leurs disciplines de recherche et leurs cultures, les nomenclatures de motivations à donner semblent redondantes. Les sciences cognitives, la sociologie et les études économiques ne recensent finalement qu’une dizaine de motivations à contribuer à l’intérêt général, au bien commun. Tout un chacun comprend que rares sont les donateurs, mécènes et philanthropes à n’être motivés que par un seul facteur. Mais comprendre quels sont les ressorts propres à chacun permet de construire des interactions avec les grands donateurs, ou des stratégie de communication auprès du grand public, pour améliorer sa collecte de fonds.